Introduction à la théologie scolastique - 'ilm ul kalâm (Ibn Khaldûn)

Publié le par Muhammad Yahya Riahi

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Dans sa Muqaddimah, Al Imâm 'Abd Ur Rahmân Ibn Khaldûn (qu'Allâh lui fasse miséricorde), théologien ash'arite, définit la théologie scolastique ('ilm ul kalâm) comme suit : « La théologie scolastique, c'est la science des arguments rationnels (adillat 'aqliyyah) pour la défense des dogmes et la réfutation des innovations qui s'écartent des premiers Musulmans et de la doctrine sunnite. »

Et l'Imâm 'Abd Ur Rahmân Ibn Khaldûn (qu'Allâh lui fasse miséricorde) a dit aussi en guise d'exposé sur la théologie scolastique, sa définition, ses origines, les sectes qui la pervertirent, l'école sunnite ash'arite qui représente cette science dans toute sa splendeur, et les grands savants qui y ont adhéré :

« Le législateur (Sayyidunâ Muhammad) nous a décrit le premier degré de foi, qui est la croyance. Il a précisé les points particuliers auxquels nous devons croire de tout notre cœur, de toute notre âme, et que notre langue doit affirmer. Ce sont les articles de foi. Interrogé là-dessus, le Prophète (ﷺ) répondit : « La foi, c'est croire en Allâh, en Ses Anges, Ses Livres, Ses Prophètes, au jour du jugement et à la prédestination ; bonne ou mauvaise. » [1]

Ces croyances sont établis par la théologie scolastique. Nous allons les décrire sommairement, pour bien montrer le caractère et l'origine de cette science.

* Voici : Le Législateur nous enjoint de croire au Créateur, Source Unique de tous les actes. Telle est la garantie de notre salut à l'heure de la mort. Mais Il ne nous dit rien de la vraie nature de ce Créateur que nous adorons, car cela dépasserait notre perception et notre niveau. Il nous a seulement ordonné de croire que, par Son Essence-Même (Adh Dhât), Allâh ne saurait être comparé à aucune créature : sinon, Il ne pourrait être vraiment Le Créateur.

* Deuxièmement : l'élimination d'éléments anthropomorphiques (at tanzîh) permet de distinguer Allâh de toute créature semblable. Ensuite : l'unification (at tawhîd) d'Allâh est indispensable, pour expliquer la création du monde, rendue impossible sans cela par l'existence d'antagonismes mutuels. [2]

* Autres croyances : Allâh est L'Omniscient (Al 'Âlim) et Le Tout-Puissant (Al Qâdir), ce dont témoignent toutes les actions, comme par syllogisme, pour attester de la perfection de la création. D'autre part Allâh est Celui Qui veut (Al Murîd) : sans cela, il n'y aurait aucune différence entre Ses créatures. Il a prédéterminé le sort de chacune d'elles : sinon, Sa Volonté serait une chose nouvelle. Il nous ramène à la vie après la mort, complétant ainsi la Divine Providence de Sa première création. Si celle-ci devait disparaître, elle ne serait que dérision , alors qu'elle est destinée à la survie éternelle. La mission des Prophètes (que Le Salut et La Paix d'Allâh soient sur eux) a pour but de nous sauver, au jour de la résurrection, car celui-ci peut être bon ou mauvais pour nous, sans que nous le sachions d'avance. C'est pourquoi Allâh a mis le comble à Sa bonté en nous expliquant les deux issues : félicité paradisiaque ou châtiment infernal.

Tels sont les principaux articles de foi, fondés sur des preuves logiques, dont certaines, nombreuses, sont tirées du Qur°ân ou de la Sunnah. Telles sont celles qu'on tirées les premiers Musulmans : leurs docteurs ont montré la voie et leurs imâms ont authentifié les preuves. Plus tard, cependant, surgirent des divergences de détail sur ces articles de foi, surtout au sujet des versets ambigus (mutashâbih). Cela conduisit à des litiges et des disputes, et au recours supplémentaire au raisonnement logique. Telle est l'origine du kalâm.

* Voyons ici les choses plus en détail : Dans le Qur°ân, L'Adorable est décrit en des termes d'un désanthropomorphisme absolu (at tanzîh) [3], clairement et sans qu'une interprétation soit nécessaire. Tous ces versets, et ils sont nombreux, emploient la forme négative [en ce qui concerne l'anthropomorphisme]. Ils sont nets et impératifs. Les propos du Prophète (ﷺ), de ses compagnons (qu'Allâh les agrée), et de leurs successeurs immédiats (at tâbi'în) en ont donné l'exégèse littérale. Cependant, il y a quelques autres versets, peu nombreux, qui suggèrent l'anthropomorphisme (at tashbîh) [4], en ce qui concerne soit L'Essence (Adh Dhât), soit les Attributs d'Allâh (Sifâtu Llâh). Aux yeux des premiers Musulmans, les preuves l'emportaient largement et clairement en faveur d'un Dieu non-anthropomorphe, car ils savaient bien que l'anthropomorphisme est une absurdité (istihâla). Ils décidèrent que les versets non-anthropomorphiques étaient le Verbe d'Allâh, ils crurent en eux et ne tentèrent pas de les examiner ou d'en interpréter le sens. C'est ce que signifie le propos de la plupart d'entre eux : « Transmettez-les comme tels qu'ils sont parvenus - amirrûhâ kamâ jâ'at ». Ce qui veut dire : croyez que ces versets viennent d'Allâh et ne cherchez pas à les interpréter ou à les modifier - sous prétexte qu'ils doivent vous mettre à l'épreuve. Il vaut donc mieux s'en tenir là et s'en remettre à Allâh.

Pourtant, il y eut, en leur temps, quelques rares innovateurs pour s'occuper des versets ambigus et plonger dans l'anthropomorphisme. Certains, prenant les mots sacrés à la lettre, prêtèrent à Allâh une Essence anthropomorphe et crurent qu'Il avait des mains, des pieds, un visage. C'était là de l'anthropomorphisme (tajsîm) pur et simple, en opposition aux versets contraires. En effet, l'idée d'un corps (jism) entraîne celle de défaut (naqs) et d'imperfection (iftiqâr). Mieux vaut donc s'en tenir aux versets négatifs (âyât us sulûb), qui indiquent qu'Allâh est absolument dépourvu d'attributs humains. et qui sont nombreux et clairs - plutôt que de s'attacher à la lettre des autres versets, dont on peut fort bien se passer, et de chercher à concilier l'inconciliable. Les partisans de l'anthropomorphisme ont bien essayé d'échapper à leur abomination en prétendant que « le corps d'Allâh n'est pas comme les autres ». Mais ce n'est pas un argument, puisqu'il s'agit d'une déclaration contradictoire qui combine négation et affirmation pour exprimer une idée unique, celle du corps. Et si l'on veut ainsi appliquer la négation à un tel concept de corps, et l'affirmation à tel autre, dans ce cas on rejette l'idée habituelle de « corps » et l'on devra reconnaître, avec nous, qu'Allâh n'est pas anthropomorphe [5]

D'autres de ces innovateurs regardent l'anthropomorphisme comme une définition des Attributs d'Allâh, auquel ils donnent une direction (al jihah), un établissement (al istiwâ), une descente (an nuzûl), une voix (as sawt), un phonème (al harf) etc. Cette opinion conduit à l'anthropomorphisme, même si ses partisans prétendent s'en tirer par « une voix qui n'est pas comme les autres », « une direction », ou « une descente », « pas comme les autres », c'est-à-dire selon eux, « pas comme les autres corps » On réfutera cette opinion comme la précédente.

Tout ce qu'il reste à faire, concernant le sens clair de nombreux versets coraniques, c'est donc de s'en tenir à ce qu'on cru et suivi les premiers Musulmans. De la sorte, on évitera, en niant la signification des textes, de désavouer leur autorité, alors qu'ils sont tout à fait authentiques et qu'ils font partie intégrante du Qur°ân. Tel est, d'ailleurs, le fond des positions prises par Ibn Abî Zayd [Al Qayrawânî], dans sa Risâlah ou dans son Mukhtasar par Ibn 'Abd Il Barr le Muhaddîth (spécialiste du hadîth), et par d'autres. Ils tournent autour de la même idée et il ne faut pas fermer les yeux à leurs arguments, au fil de leurs discours.

Plus tard, avec le progrès des sciences et des arts, on se mit à écrire des recueils systématiques et à se livrer à la recherche dans tous les domaines. Les théologiens (al mutakallimûn) dissertèrent contre l'anthropomorphisme. C'est alors qu'apparurent les mu'tazilites (qui sont un autre extrême) [6]. Entendant le débat aux « versets négatifs », ils décidèrent de retirer à Allâh tout attribut idéal (sifât al ma'ânî), tel que La Science (Al 'Ilm), La Puissance (Al Qudrah), La Volonté (Al Irâdah) et La Vie (Al Hayât), dont ils nièrent également les conséquences. Penser autrement, disaient-ils, serait admettre « le pluralisme de L'Eternel » (ta'addud Al Qidâm). Mais on réfutera leurs erreurs en remarquant que les Attributs (d'Allâh) ne sont ni confondus avec Son Essence, ni en dehors d'Elle.

Là-dessus, les mu'tazilites décidèrent qu'Allâh n'était pas doué de Volonté, ce qui les obligea à nier la prédestination (al qadar), puisque celle-ci n'est autre que La Volonté Divine antérieure aux créatures. Ils rejetèrent aussi les Attributs Divins de L'Ouïe et de La Vue, sous prétexte qu'il s'agirait d'accidents physiques. Cela se réfute quand on sait que le sens des mots ouïe et vue n'est pas nécessairement lié à l'existence d'une forme corporelle, mais seulement à la perception des choses audibles ou visibles. Les mu'tazilites voulurent encore priver Allâh de la parole, pour des raisons analogues : ils ne comprenaient pas que Le Verbe est un Attribut de l'âme. Enfin, ils prétendirent que le Qur°ân était créé (makhlûq), ce qui est une innovation blâmable contraire à l'opinion formelle des Salaf. Cette invention fit beaucoup de mal. Certains imâms mu'tazilites l'inculquèrent aux califes qui l'imposèrent à la population. Mais les imâms sunnites y résistèrent, et il fut permis de les fouetter et de les mettre à mort. C'est alors que les défenseurs de la sunnah se dressèrent pour défendre les articles de foi et réfuter ces inventions avec des preuves raisonnables.

Le chef de file des théologiens, Ash Shaykh Abu-l-Hasan Al Ash'arî, se chargea de cette tâche, en suivant une voie médiane au milieu des différents systèmes. Il rejeta l'anthropomorphisme tout en admettant les attributs abstraits. Il rejoignit l'attitude des salaf, dans la mesure où il réduisit les attributs anthropomorphe d'Allâh à ceux que ceux-là avaient retenus, lorsque les principes généraux probatoires s'appliquaient aux cas particuliers. En recourant à la raison et à la tradition (al 'aql wa an naql), il démontra la réalité des 4 attributs spirituels et celui de l'ouïe, de la vue et de la parole - fonction essentielle. Sur tous ces points, il réfuta les erreurs des innovateurs. Il discuta avec eux (les mu'tazilites) sur leurs vision du bien, du mieux, du bon et du mauvais : inventions fondamentales de leur hérésie. Il perfectionna l'expression des dogmes concernant la Révélation, les circonstances de la revivification, le Paradis et l'Enfer, la récompense et le châtiment. Il introduisit également une discussion sur l'imâmat, car les shi'ites de son temps venaient de prétendre que cette question était un article de foi et que le Prophète, aussi bien que la communauté musulmane, avait le devoir de régler la succession des Imâms et de libérer de toute responsabilité de ce genre celui qui deviendrait imâm. En réalité on sait que l'imâmat n'est pas un article de foi mais, au mieux, une question d'intérêt général, dépendant du consensus des savants. C'est à cause de l'attitude des shi'ites que les théologiens sunnites ont abordé ce problème.

C'est tout cela qui constitue ce qu'on appelle la science du verbe (théologie dialectique) peut-être à cause de ses controverses pour réfuter les innovations. Mais il n'y aurait là que des paroles, sans aucun passage à l'action. La véritable explication pourrait être que l'origine et le développement de cette science ont été dus aux discussions sur la réalité du Verbe Spirituel (Al Kalâm Un Nafsânî) [7]. Abu-l-Hasan Al Ash'arî eut beaucoup de disciples, comme Ibn Mujâhid [At Tâ'î], qui formèrent Al Qâdî Abû Bakr Al Bâqillânî. Celui-ci étudia, comme ils l'avaient fait, le problème de l'imâmat, en y réussissant encore mieux. Il posa les prolégomènes logiques qui gouvernent les arguments et les réflexions sur ce sujet […]

C'est ainsi que la méthode d'Al Ash'arî, une fois complétée (par ses disciples et successeurs), devint une des premières disciplines spéculatives (funûn nazariyyah) et l'une des principales sciences religieuses. Pourtant, la présentation de ses arguments est, parfois, loin de la perfection technique : c'est que les savants de son temps étaient encore pleins de simplicité et que l'Islâm ne connaissait pas encore la science de la logique ('ilm ul mantiq), qui sonde les démonstrations et observe les syllogismes. Il est vrai que les théologiens n'y auraient pas eu recours, parce que la logique tient de trop près aux sciences philosophiques, qui sont elles-mêmes entièrement différentes des doctrines de la Sharî'ah, ce qui montre qu'on doit s'en abstenir.

Après le shaykh ash'arite Al Qâdî Abû Bakr vint l'Imâm Ul Haramayn Abul Ma'âlî [Al Juwaynî]. Il dicta le texte d'un traité d'ensemble sur le système ash'arite et s'y montra fort explicite. Ensuite, il en donna un résumé - Kitâb Ul Irshâd - qui devint le guide spirituel en matière de doctrine ash'arite.

Là-dessus, apparut, en terre d'Islâm, l'ère de la logique. On étudia cette science (nouvelle) et on la conçut comme distincte des sciences philosophiques, en ce sens qu'elle n'est qu'une règle ou un étalon pour les preuves, qui permet de soutenir les arguments philosophiques comme les autres. On se mit alors à l'examen des principes de base posés par les premiers théologiens. On finit par les rejeter, à l'aide d'arguments souvent tirés de discussions philosophiques sur la physique et la métaphysique (al ilâhiyyât) [8]. Soumis à la pierre de touche de la logique, ces arguments ne parurent pas applicables à la théologie. Pourtant, on ne crut pas - malgré Al Qâdî Al Bâqillânî - qu'une fausse preuve implique la nullité de ce qu'on veut prouver. De toute, on eut là une nouvelle méthode technique, différente de la première, et on l'appela « la voie des modernes » (tarîqat ul muta'akhkhirîn). En raison de leur position sur les articles de foi, ces derniers entreprirent souvent de réfuter les philosophes, tenus par eux comme ennemis des dogmes et, à bien des égards, apparentés aux innovateurs.

Le premier de ces théologiens modernes est Al Ghazâlî, suivi par l'Imâm Al Khatîb, puis par un grand nombre de savants, partisans de leurs méthodes [...] » [9].

Fin de citation.

Notes :

[1] Rapporté par Muslim.

[2] C'est-à-dire que plusieurs dieux se seraient disputés, et le monde aurait été alors soit non-créé, soit détruit.

[3] Absence d'attributs humains, absence d'attributs faisant ressembler Allâh à Sa création.

[4] Fait de faire ressembler Allâh à Ses créatures en lui donnant des attributs humains par exemple.

[5] Qu'Allâh ne ressemble pas à Sa création.

[6] Secte créée par Wâsil Ibn 'Atâ° et 'Amr Ibn 'Ubayd, elle tire son nom " mu'taziliyyah " du fait qu'étant élèves de l'Imâm Al Hasan Al Basrî (qu'Allâh l'agrée) ils allèrent le voir et diverger avec lui au sujet de points de croyance, suite aux affirmations déviantes de ses disciples, il dit qu'il s'écartèrent de la voix des ahl us sunnah : al i'tizal étant le fait de « s'écarter de ». Elle emprunta de nombreuses conceptions philosophiques antiques ainsi qu'une utilisation abusive de la raison, et produisit par conséquent de nombreux avis innovés en total contradiction avec la Sunnah. Elle se divisa en de nombreuses branches ce qui amena une multitude d'hérésie venant de tout côté de la part des penseurs affiliés à cette secte. Elle fut combattue avec force par les Ahl Us Sunnah, notamment par l'Imâm Ahmad (qui en paya le prix fort en mourant à la suite de tortures infligées par le pouvoir en place) et ses disciples (que La Miséricorde d'Allâh les accompagne) alors qu'elle était la référence officielle du califat de l'époque en matière de croyance. Elle fut à nouveau combattue plus tard, puis anéantie, par l'Imâm Abu-l-Hasan Al Ash'ârî et ses disciples (que La Miséricorde d'Allâh soit sur eux). Cependant de nombreux points de cette secte subsistent encore de nos jours du fait de nombreuses concordances avec les croyances shi'ites imâmîtes, courant officiel de la République d'Iran.

[7] C'est-à-dire une sorte de science de la connaissance de la Parole Divine, du discours sur Allâh ect.

[8] Aujourd'hui ce mot a en général le sens de théologie, par exemple la faculté de théologie d'Ankara s'appelle en turc : Ilâhiyyât Fakültesi.

[9] Tels Al Qurtubî, Ibn 'Arafah, Ash Shâtibî, An Nûrî, Ibn 'Âshir, Ar Riyâhî ou encore Ibn 'Âshûr, qui furent tous d'éminents théologiens ash'arites.

 

Publié dans Dogme islamique

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